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Alain (P44) et Julien JOUANNEAU - L’effet postillon

Auteurs

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13/04/2025


Alain (P44) et Julien JOUANNEAU 

Titre : L’effet postillon aux éditions Rivages

12 €



Les mille et une horreurs de la vie quotidienne, sous forme de brèves et ludiques chroniques.


EXTRAIT de L'Effet postillon de Julien Jouanneau

La carte regorge de spécialités ragoûtantes, un vrai défilé mignon. Je mise sur un boeuf en tartare conquérant, rosé et spongieux. Les couverts étincellent autant qu'un avion de ligne haut perché dans la nuit. J'écoute mon convive avec grand intérêt, une serveuse au sourire trente-deux dents escorte mon plat. Je malaxe les différents condiments dans une exquise purée de chair. J'aurais dû me méfier, contexte trop parfait. Or la perfection attise l'emmerdement, comme courir couvert d'aluminium sous une pluie d'orage. Le postillon satanique, celui qui gâche des millions de repas chaque jour sur la planète, surgit de façon immonde. Celui qui s'extirpe des tréfonds de la bouche de l'être qui me fait face. Le drame se joue en une microseconde, mais je subis la scène au ralenti. Le postillon peint dans l'air une traînée laiteuse et mousseuse, à l'instar d'une comète mal intentionnée. Ce météore buccal atterrit dans mon tartare, sans cratère, porté disparu. Armageddon sur mon assiette. Mon coeur rebondit comme un ballon de basket. Je fixe le plat avec détresse. Ma fourchette tremblote. L'envie de vomir, de fondre en larmes, de faire valdinguer le tartare maudit. La faim se transforme en écoeurement, voire détestation de mon interlocuteur que je chérissais il y a encore quelques secondes. Ce dernier ne prend pas conscience de la tragédie qu'il a initiée et poursuit son discours, devenu pour moi totalement muet. La déjection buccale a tout saccagé. Impossible, pour me dépêtrer de ce pétrin sociable, de mimer tout à coup la disparition de la faim, ou de renvoyer le tartare parce qu'il n'est pas assez cuit. Que faire, je suis si blême que j'éclaire les cornichons. Mon convive ne sait pas que je possède ma carte officielle de râleur, auquel cas je lui aurais exposé la situation tragique, qu'il aurait comprise après m'avoir catalogué d'hurluberlu. Je dois alors simuler la sociabilité. Il me faut manger. Tétanisé, me voici héros de film de prison, dont le directeur salace m'ordonne d'engloutir une mixture obscène au sein de laquelle cohabitent des vers heureux. Je préférerais encore passer six mois au trou ! Le tartare m'hypnotise, la déjection est invisible, camouflée, aussi sournoise qu'une mine antipersonnel. Elle reste introuvable, le plat se met à onduler jusqu'à former une mare floue et hostile.

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